JÉRÔME THOMAS, LA TÊTE EN L’AIR
Article initialement publié sur le site Wankr.fr
Les pignons de murs aveugles sont les premiers investis par les peintres, surtout dans les zones d’aménagement ou de rénovation urbaine. Le graffiti monumental connait un regain d’activité depuis 2012 surtout dans le 13ème arrondissement. Conçu comme un décor, afin de faire oublier l’aspect inesthétique du mur, les artistes redonnent vie avec brio aux parois orphelines.
SKY’S THE LIMIT est un (bon) film documentaire qui explore le phénomène du néo-muralisme.
Rencontre avec Jérôme Thomas (à qui l’on doit le très bon Home-Studio), qui nous présente ici son nouveau bébé :
Ton documentaire traite du (néo-)muralisme, comment t’es venue l’idée de traiter ce sujet ?
Je n’avais pas l’idée, je me suis retrouvé face au sujet quand Katre m’a appelé parce qu’il réalisait une peinture géante à la Tour 13. Il cherchait quelqu’un pour l’aider. Je n’avais pas trop envie de monter, un peu peur, mais une fois en haut, je me suis dit que je venais de trouver une nouvelle façon d’aborder le graffiti, un nouvel angle de vue.
Par la suite, on a changé les termes, j’ai raccordé ça à l’histoire du muralisme et le mot néo-muralisme est apparu. Les différences avec le muralisme sont nombreuses, il s’agit de projets apolitiques, réalisés par des artistes ‘seuls’ et non des équipes, il y a des galeries et des galeristes qui interviennent dans le processus… Le néo-muralisme a des liens avec le graffiti, de par la technique, par le fait que les murs sont plus tolérés qu’autorisés, que les peintures sont souvent sponsorisées par les marques de bombes… n’en déplaise aux gardiens du temple qui s’excitent.
C’est une forme de graffiti plus ou moins institutionnel, mais dès qu’on sort de Paris, on s’aperçoit que beaucoup de murs ont été faits de façon sauvage. Roa par exemple, qui peint des animaux morts sur des murs de plus de 30m de haut se revendique du graffiti. Tous les participants à ce documentaire ont un parcours lié au graffiti. Tous les intervenants de mon documentaire ont un parcours graffiti. Ce qui m’intéressait c’était au-delà des échanges de définitions sur le mot ‘graffiti’ en lui-même, c’était comment leur background graffiti leur permettait de traiter des formats de cette taille.
Si certains acceptent juste d’être défrayés mais en retirent une visibilité ou une notoriété, ça les regarde.
On entend beaucoup les participants et les organisateurs (galeristes, maire,…) et peu les habitants des quartiers concernés, était ce voulu ou ce choix s’est fait au montage par nécessité ?
Quand on fait un docu seul, saisir des habitants qui échangent avec les artistes est quasi impossible car rien n’était scénarisé, ça va trop vite.
Les interventions des riverains sont plus présents sur la version longue, présente dans le livre (qui arrive bientôt). Les 4 secondes nécessaires à rallumer la caméra sont trop longues et font disparaitre la spontanéité. C’est un documentaire sauvage, rien n’a été mis en scène sauf le plan où Jace parle à un enfant.
La majorité des endroits où j’ai filmé ne sont pas vraiment dans le monde des bisounours donc, les gens n’avaient pas que ça à foutre.
J’espère juste que ça va évoluer et que les artistes seront rémunérés à la hauteur de leur performance.
On y entend pas mal de visions divergentes des différents intervenants, notamment à propos de la rémunération, mais il n’y a jamais de confrontation ni de parti pris, quel est ton opinion personnelle à ce sujet ?
Mon opinion personnelle est simple, les artistes doivent être payés.
Et il faut surtout les laisser(les artistes) libres de leurs choix. Si certains acceptent juste d’être défrayés mais en retirent une visibilité ou une notoriété, ça les regarde. Stew par exemple, son mur de 50m de haut dans le 13e a réellement fait évoluer sa carrière. Dans ce cas là, les 3 parties (le peintre, la mairie et la galerie) s’y retrouvent, ils sont tous adultes et tant qu’il n’y a pas de détournement de fonds, je ne vois pas de problème.
J’ai toujours pris la défense des artistes, mais chaque mur ou artiste a une configuration et une histoire différente, ce qui est vrai pour l’un ne l’est pas forcément pour l’autre. J’espère juste que ça va évoluer et que les artistes seront rémunérés à la hauteur de leur performance. On sent d’ailleurs chez Pantónio par exemple, une certaine frustration relative à cette non reconnaissance de son travail.
Par contre les villes les plus ouvertes à cette pratique ne sont pas toujours celles où il y a le plus de liberté artistique
Tu as beaucoup voyagé durant les 4 années nécessaires à la réalisation de ton documentaire, quelles sont les villes les plus ouvertes à cette pratique ?
Justement non, je n’ai pas voyagé pour ce docu, à part à Paris et dans sa banlieue. C’est un documentaire à petit budget, financé par le crowdfunding. Presque toutes les images de l’étranger m’ont été envoyées par les artistes eux-mêmes ou des festivals, on m’a même envoyé des disques durs entiers.
Mon travail a été de faire une grosse synthèse de tout ça. Je n’ai couvert que la France, essentiellement, Paris, et sa banlieue, ainsi que Mulhouse pour suivre Inti. Je me suis dit que je ne pouvais pas faire ce film sur un mouvement international sans montrer ce qui se fait ailleurs, j’ai donc récupéré toutes les images que j’ai pu. Tout le monde est crédité dans le générique.
pour répondre à ta question initiale, les endroits les plus favorables à cette pratique sont en Amérique du sud, comme le Chili, le Paraguay et le Mexique où il y a historiquement toujours eu ce genre de pratique. Par contre les villes les plus ouvertes à cette pratique ne sont pas toujours celles où il y a le plus de liberté artistique. Mais il y en a de plus en plus et sur tous les continents, c’est un phénomène international, mais il ne faut pas perdre de vue que les enjeux ne sont pas les mêmes à Pékin ou à Aulnay sous-bois.
Quelles ont été les plus grandes difficultés rencontrées durant le tournage ? (égos des artistes, autorisations, froid, problèmes techniques, réactions des riverains et des autorités, autre chose…)
La plus grande difficulté a été la durée du tournage (4 ans). La difficulté technique est aussi de filmer un mur sans aucun recul. J’ai dû adapter mon matériel, il faut diversifier des angles de vue et les optiques. C’est très compliqué de rendre la monumentalité des choses, tout en étant avec l’artiste sur la nacelle. Tous les artistes que j’ai suivis ont tous été extraordinaires, et tous étaient contents qu’on montre leur travail. J’ai même parfois rendu des services, j’ai même parfois peint à leur côté pour les fonds ou les retouches. La météo et les machines n’ont pas toujours été de notre côté.
Page Facebook du documentaire :https://www.facebook.com/groups/sky1limit/