Berthet, itinéraire d’un talent brut
Bonjour, est ce que tu peux te présenter?
Je m’appelle BerthetOne, Graffiti artiste.
Tu peux me faire un petit résumé de ton parcours, comment tu en es venu au dessin?
Pour la faire courte, je suis une personne qui a grandi dans un quartier populaire dans le 93 (Seine St Denis), ma jeunesse a été un petit peu chaotique, j’ai fait pas mal de conneries.
Je me retrouve en prison, et là, je reprends ma passion et à ma sortie je me dis ben j’ai un don, peut être un talent, Bah je vais m’en servir.
qu’est-ce que tu veux faire Berthet ? Dessinateur ? Choisis plutôt un vrai métier
Quand tu étais petit, tu aimais déjà dessiner ou c’est une passion qui t’es venue quand tu étais au placard ?
Ah non, Alors moi j’aime bien dire je suis de la génération Club Dorothée.Depuis tout gamin, Je regardais Cabu, je me disais « wow, c’est ça que je veux faire ». Malheureusement pour moi, eh bah à la maison, quand je dessinais, c’était plutôt « arrête tes bêtises et fais tes devoirs ».
Et les profs, quand ils me voyaient dessiner, « qu’est-ce que tu veux faire Berthet ? Dessinateur ? Choisis plutôt un vrai métier ».
Et tu penses que ce genre de réponse que tu as eu de la part de l’Education Nationale, c’était lié plus à ton statut social ou pour un prof, quel que soit le contexte dessinateur, ce n’est pas un vrai métier ?
Moi je pense que c’est tout simplement le fait que pour tout le monde, quelle que soit ta position sociale l’artistique c’est quelque chose de pas sûr en fait. Du coup, ça fait peuraussi bien aux parents qu’aux profs.
Donc, tu n’as pas insisté parce qu’on t’a réfréné là-dessus (le dessin) au niveau de l’école et de la famille, mais tu penses que tu aurais pu avoir le même parcours de dessin sans avoir eu ton parcours de vie que tu as eu entre temps?
Alors c’est une question difficile parce que, en fait, malgré tout, même malgré mon parcours où je n’étais pas vraiment à fond dans le dessin, j’avais toujours le dessin en moi. Donc j’avais toujours un stylo dans la main. Dès que j’avais du temps, je dessinais. Par contre, je dessinais juste pour moi, alors qu’aujourd’hui je dessine mais j’ai décidé de montrer mes dessins.
Et ça, c’est ton passage en prison qui a produit ça ou c’est juste une évolution qui se serait produite quoiqu’il arrive ?
On va dire que ça y a contribué dans la mesure où en prison, je dessinais pour moi. Et puis les gars voient comment je dessine et là tout s’enclenche, on m’inscrit à des concours aussi à l’extérieur, notamment le festival d’Angoulême etc…. Dès lors, je montre mon dessin et je vois que ça plaît.
Et ça, tu ne l’avais jamais fait avant ?
Oui, je l’ai montré, mais on va dire à mes proches. Et donc donc tu vois, quand t’as tes proches qui te disent « c’est bien ce que tu fais, ça rentre dans par oreille, ça ressort par l’autre. Alors que là c’était des inconnus qui voient ce que je fais, puis je gagne des concours donc. Ça m’a fait bizarre, on dirait que ça plait.
j’espère qu’il y aura une personne qui a, on va dire une âme artistique qui se dit que ce n’est pas possible et en voyant ça, il va se dire ah ouais, c’est possible
J’ai découvert ton travail il y a quelques années dans le film de Keira Maameri « Nos plumes ». Ce film, il retrace le parcours de plusieurs auteurs ou dessinateurs issus de quartiers et de milieux sociaux qui s’imaginaient pas forcément rencontrer la réussite et gagner leur vie, ni même gagner l’estime de leurs pairs.
C’était quoi ta réaction quand tu as vu le film la première fois ?
J’ai trouvé ça cool dans la mesure où je me suis dit « j’espère qu’il y aura une personne qui a, on va dire une âme artistique qui se dit que ce n’est pas possible et en voyant ça, il va se dire ah ouais, c’est possible. Il a réussi à faire ce qu’il est en train de faire. Ben moi aussi je peux en fait. »
Ton travail en dessin, il est principalement figuratif, que ce soit en BD, en graffiti ou même de ce que j’ai pu voir en toile. Tu n’es pas attiré par d’autres formes graphiques ou d’autres médiums, genre de l’abstrait, de la sculpture ou autre ?
En fait, je fais de l’abstrait mais je ne le montre pas. Et puis là je vais faire de la sculpture justement, là c’est en plein dedans et personne ne le sait et c’est marrant que t’en parles.
Quand il s’agit d’une toile, là c’est vraiment hyper instinctif
Pour une bd ou une toile ou une autre de tes productions. C’est quoi ton processus de création?
Alors moi je suis suis hyper spécial parce que je travaille énormément à l’instinct.
Alors moins avec la BD c’est vrai, parce que je cherche d’abord un sujet, je cherche un thème on va dire, qui pourrait plaire à un maximum de personnes, mais surtout avant tout, qui pourrait me plaire à moi et où j’aurais matière à raconter des choses.
Ce que je recherche, c’est écrire et en même temps je veux que la personne qui lise ma BD apprenne des choses, mais avec humour et dérision. Quand il s’agit d’une toile, là c’est vraiment hyper instinctif.
Graffiti, pareil, tu ne viens pas avec une maquette ou avec une esquisse papier
Jamais, jamais de plans. C’est vraiment hyper instinctif, des fois même je commence en graffiti, je ne sais pas où je vais.
À côté de ça, tu participes à des ateliers de dessin en maison d’arrêt. Qu’est ce que toi tu penses apporter et qu’est ce que ça t’apporte à toi?
Déjà, j’essaie d’amener la culture là où elle est difficile d’accès, notamment dans les prisons. Oui, dans les quartiers populaires (enfin je n’aime pas trop ce terme là), dans les écoles etc.
Et puis surtout, je veux faire en sorte qu’il y ait des jeunes qui se disent qu’en fait c’est positif, c’est fait pour tout le monde. On a le droit d’apprécier l’art, on a le droit de se déplacer dans des galeries d’art et même si on n’est pas encore attiré, on va dire, par des formes d’art très classiques, oui, et bien ça nous parle. En fait, pour les personnes issues de milieux plus humbles, j’ai envie de dire. Et bien ça nous parle en fait de voir.
C’est une porte d’entrée.
Voilà.
Justement, tes BDs traitent principalement, ou du moins celles que j’ai pu avoir entre les mains du quartier de la prison. Et tu penses que ce sont des thématiques que tu vas encore explorer longtemps ou tu voudrais aborder d’autres sujets et d’autres thèmes dans tes prochains ouvrages?
Ah ben en fait, pour tout te dire, les BDs dont tu me parles, la première date de 2011, la deuxième n’était pas du tout prévue et en fait c’est plutôt les gens qui m’ont dit « on veut la suite, on veut la suite ». Du coup, je l’ai faite en 2015.Mais depuis, depuis, je n’en parle même plus.
Je suis sur d’autres projets, pour te dire, je travaille sur une BD qui parle de la déclaration des droits de l’homme expliqué aux enfants.
C’est une commande ou c’est un truc que t’avais envie envie de faire toi à la base?
C’est plus des choses en fait qui me tiennent à cœur en fait. Cette BD là, je l’ai faite à la suite des attentats et du coup je me suis dit tiens, comment essayer d’amener un peu de valeur par le biais de la bédé pour que ce soit lu le plus tôt possible justement? La bd c’est génial pour ça.
Et j’ai plein d’autres projets dont je ne dévoilerai pas les secrets maintenant.
On est en période électorale et post-électorale en ce moment (interview réalisée en Mai 2022). C’est la période des grosses promesses qui ne seront sûrement pas tenues. Et par rapport à l’incarcération, est ce que toi tu verrais une alternative ou t’aimerais bien qu’il y a des alternatives qui soient proposées? Et tu verrais quoi par exemple comme alternative à l’enfermement.
Moi je verrais simplement des solutions intelligentes. Et puis moins d’enfermement parce que ce n’est pas du tout une solution en soi et il y a des choses qui peuvent être vachement plus bénéfiques.
Par exemple, un gamin aujourd’hui pour un pour un menu délit se fait enfermer. C’est pire que tout, on crée, on fait quelque chose de dangereux en fait là, parce que si on l’enferme avec des criminels endurcis, il a de fortes chances d’aller dans cette direction. Tandis qu’un gamin jugé, je le répète, pour un délit mineur, si on l’oblige à retourner à l’école, à suivre une formation…, ça peut devenir bénéfique pour lui et la société.
Si je me fais l’avocat du diable, je te dirais que toi, tu es le parfait exemple inverse pour le coup.
Ben carrément pas.
Carrément pas ?
Je ne le dis pas souvent, mais en fait dans ma vie, j’ai fait deux fois de la prison, la première fois à 18 ans et on m’a condamné à trois semaines de prison. Exactement. Ouais, et je savais que j’allais être là que trois semaines. Le problème, c’est qu’on m’a enfermé dans une prison et j’étais enfermé avec des délinquants de haut vol. Et pour moi, en fait, ce qui devait être un petit truc qui me fait peur, ben ça a été au contraire l’école du crime. Ouais. Je rentre trois semaines, je ressors avec des idées folles en fait.
Et à un moment donné, je me construis et je me retrouve face à moi-même. Je dirais même plus face à ces quatre murs je me demande « Qu’est ce que je veux pour moi? »
Ton 2e passage t’a permis de te révéler entre guillemets et de passer à autre chose.
Ce n’est pas mon deuxième passage qui me l’a permis, c’est moi qui me suis permis tout seul. Il s’est passé quelque chose. Parce que le fait d’avoir été incarcéré très jeune pour une très courte peine a fait que pendant dix ans, j’ai profité de ce que j’avais appris à l’école du crime.
Ça a été chaud pour la société !
Mais à un moment donné, c’est parce que j’ai eu les bases et les bases, ca a été ma famille, ça a été les valeurs que m’ont apportées ma famille que je n’écoutais pas à un moment donné de ma vie. Et à un moment donné, je me construis et je me retrouve face à moi-même. Je dirais même plus face à ces quatre murs je me demande « Qu’est ce que je veux pour moi? »
Et c’est parce que j’avais ces bases que j’ai pu réussir à changer tout ça.
Pour parler complètement d’autres choses. Le graffiti, ça faisait déjà partie de tes activités avant que tu te remettre au dessin ou c’est un truc qui est venu plus tard ?
J’ai commencé le graffiti à quatorze ans. J’ai grandi à La Courneuve, et on avait un mur dans le quartier Paul Verlaine où j’avais douze, treize, quatorze ans. Il y avait des Américains qui venaient graffer en fait. Très très jeune. j’ai vu un mec tout jeune qui venait peindre et c’était Jonone, j’ai vu les BBC venir, j’ai vu des mecs qui aujourd’hui sont décédés, mais des anciens, j’ai vu. Bref, j’ai vu des graffeurs, j’ai vu des murs se construire. Incroyable et donc voilà.
Et à ce moment là, ça ne t’a pas donné envie de pas te professionnaliser ou t’y mettre plus à fond ou c’était juste en dilettante à côté?
Ah mais en fait, à l’époque personne ne voulait se professionnaliser, C’était une culture, de l’amusement, du loisir. « Ouais, on va faire une peinture ».
Et puis certains ont continué. Certains, on va dire, ont travaillé le truc. Et puis c’est devenu une carrière, d’autres ont lâché l’affaire ou ont un métier, des enfants, etc. Mais moi, à cet âge là, j’étais loin de penser à tout ça.
Et au niveau du matériel, la bombe et le support mural, ça t’apporte quoi de plus qu’une planche à dessin ou qu’une tablette ?
Déjà on peint en plein air. Moi quand je fais de la BD, je suis posé, je travaille sur une tablette graphique, je suis posé,… alors que là c’est des prises de risques, là je suis en plein air, je n’ai pas le droit de me tromper. Il y a des gens qui passent, qui regardent, je m’éclate. La façon dont je travaille aussi, ce n’est pas du tout la même.
C’est dans la rue et c’est trop kiffant. Et en plus je peux faire passer des messages c’est ce qui me plait dans le dessin, je fais passer 1000 messages.
C’est une prise de risque et je n’ai pas le droit de me tromper. Des fois je fais sourire, des fois moins, je crée des émotions. C’est du direct, si je fais un truc qui ne plait pas ou qui choque, je le saurais tout de suite..
Tu te vois où dans 20 ans?
Franchement, dans 20 ans, si Dieu me prête vie. Je me vois parcourir le monde, un stylo à la main, une bombe à la main. Bon, dans 20 ans, je serai un petit peu vieux, mais si j’ai toujours le feu avec plaisir, tu me verras en haut d’une échelle en train de faire un schtroumpf ou en train de faire un BERTHET..
Et la Bande Dessinée dans 20 ans ?
Moi j’aurais fait 20 à 30 albums (rires). Ca va évoluer, je pense que ça va évoluer. Mais il y a il y a toujours des aficionados comme moi qui adorent le papier.
Quand je parle d’évolution pour moi, je vise, je regarde ailleurs. En fait, je regarde avec le continent africain. Ouais. La bédé, ça avait quelque chose de génial pour le continent africain. Parce que la j’ai envie de dire l’avenir c’est l’Afrique il y a tellement de cultures différentes et hyper riches.