Wire, tout ne tient qu’à un fil
Bonjour, peux-tu te présenter ?
Erwan Wire-Wire978
Né à Casablanca au Maroc je suis arrivé en France en 81. Originaire de Bretagne, j’ai fait mes petites classes à Rennes avant d’arriver en région parisienne en 87. Je dessinais déjà depuis quelques temps, dès l’âge de 5 ans j’ai pris mes premières armes : mes crayons et ma gomme et j’ai plongé très tôt dans l’univers de la bande dessinée. Mon grand père originaire de Brest était artiste peintre à ses heures perdues, il prenait son chevalet, ses pinceaux et ses tubes de peinture pour réaliser des tableaux de bateaux à marée basse ou des voiliers dans une mer déchaînée. Je me souviens qu’il avait cette façon à lui si particulière de tailler les crayons avec un cutter, que j’pouvais le regarder des heures à le faire ! Ses crayons étaient des vraies sculptures !…Bref…il m’a initié très jeune au monde de Gotlib, aux « Rubrique à brac », et à l’Univers des Comics, je feuilletais les pages des « Strange Spécial Origine » pour m’endormir et passais mon temps à recopier les super héros. Mon père et mon oncle aussi avaient un sacré coup de crayon, on peut dire que j’étais bien entouré.
A mon arrivée dans les Hauts de Seine en 87, je me suis pris une vraie claque en voyant les graffitis qui ornaient les murs des voies de chemin de fer, principalement sur la ligne Paris Saint Lazare
Tu as découvert le graffiti durant les années 80, commencé à pratiquer au début des années 90, et tu as fait des études d’art, tu te destinais à quelque chose de précis à cette époque ?
A mon arrivée dans les Hauts de Seine en 87, je me suis pris une vraie claque en voyant les graffitis qui ornaient les murs des voies de chemin de fer, principalement sur la ligne Paris Saint Lazare dont certains qui m’ont particulièrement marqués (FBI-DUC-TCP-DKA-90DBC). A cette époque j’ignorais tout de cette Culture Artistique qui allait me kidnapper quelques années plus tard. Avec mon frère Gwen, on dessinait beaucoup et la découverte de » Spraycan Art » et » Subway Art » à été un vrai déclic.
Dès le début, j’ai été fasciné par la Culture HipHop, Le Graffiti, le Rap et le Breakdance…ces disciplines artistiques m’ont ouvert les yeux sur un Monde à part !
J’étais alors à des kilomètres d’imaginer qu’on en arriverai là aujourd’hui avec mon équipe !
Les rencontres et les connexions se sont multipliées, et la Famille s’est agrandit.
On faisait ce qu’on aimait, on le vivait avec passion et rien n’aurait pu nous empêcher de le faire. c’était une véritable addiction. On vivait dans un Monde parallèle avec nos codes et nos règles, une sorte de société secrète, avec juste la même philosophie et la même motivation. Rien ne nous prédestinait à quelque chose de précis.
J’ai toujours voulu dessiner, être illustrateur, je pense que c’était une indéniable vocation…Mes parents voyaient mes tags et mes graffs sur les voies ferrées, et malgré leur inquiétude et leurs mises en garde, rien ne pouvait m’arrêter…j’étais contaminé !
Tu as toujours dessiné, pourquoi et comment le graffiti t’a interpelé et contaminé ?
Après une année en Faculté d’Arts plastiques, où je passais plus de temps à squatter sur l’herbe qu’à étudier l’histoire de l’Art, j’ai passé 2 ans dans une école d’Arts Appliqués (L’ESAT). J’y ai découvert plusieurs disciplines qui m’ont données des ailes (Modèle vivant, étude analytique, Calligraphie…) Je me suis aussi frotté aux concours des grandes écoles (Arts déco de Paris entre autres), qui m’ont permis de mesurer mes capacités.
Le Graffiti ne s’apprend pas à l’école mais tout ce que j’y ai appris m’a ouvert des portes et m’a donné des billes pour améliorer mon style et ma technique.
Tu es nostalgique de cette période ?
J’éprouve une certaine nostalgie quand je repense aux moments où l’on courrait chez le libraire du coin pour se procurer le dernier n° d’Intox ! Avec l’arrivée d’internet, des réseaux sociaux et toutes les nouvelles technologies, j’ai l’impression qu’on n’a plus la même façon de vivre les choses. Tout paraît plus simple et accessible ! Tu peux te faire connaître en quelques minutes sans jamais sortir de chez toi. A cette époque, pour être respecté et reconnu par tes pairs, il faillait faire ses preuves sur le terrain : par la qualité ou la quantité, par ton style, ton identité ou ta personnalité, par ton audace et ta détermination ! Je remercie et je félicite tous les artistes qui continuent de prendre des risques pour faire vivre cet Art avec passion.
En revanche, les réseaux sociaux sont néanmoins de véritables sources d’informations et d’inspiration. Il faut savoir les utiliser à bon escient. En tant qu’artiste, ce sont des outils essentiels pour véhiculer notre Art et partager notre passion.
Je n’ai pas assez de temps et trop de choses à faire.
Récemment, tu as travaillé des vitraux, comment ça t’es venu ?
Mon travail en atelier est vraiment différent de ce que je peux faire dans la rue. J’expérimente différentes techniques, j’utilise divers supports et matériaux. C’est une manière pour moi d’élargir mon champ des possibles et d’ouvrir d’autres portes !
Certaines de mes oeuvres s’apparentent au travail du vitrail, par l’utilisation de matériaux variés (bois, plexiglas, peinture…) Il était donc évident que je découvre cet Art ancestral.
C’est lors d’un stage particulier dans « l’Antre à Verre » que j’ai pu découvrir les joies et les peines de ce métier de fou ! La découpe du verre au gabarit, le montage d’une pièce, les chemins de plombs, la soudure à l’étain, autant de plaisir que de sueur ! Je remercie mon maître de stage Thierry Guilloteau qui a su me guider, m’encourager et me soutenir dans cette expédition artistique vraiment enrichissante !
Chaque étape est déterminante. C’est un boulot de fourmis, très précis et méticuleux.
Qu’est ce que t’as aimé (ou pas) dans cette technique, par rapport au crayon et à la peinture ?
Ce qui m’a plu, c’est de découvrir de nouvelles techniques et de prendre des risques. Maintenant, quand je rentre dans une église, une chapelle ou une cathédrale, je ne vois plus les vitraux de la même manière, j’osculte, j’analyse et j’essaie de comprendre comment ils ont été construits ! C’est fascinant quand tu sais le nombre d’heures qu’il faut compter pour réaliser une pièce.
Mais je pense que je resterais toujours fidèle à mes crayons, mes bombes et mes pinceaux, je me sens plus libre. J’aime l’idée de maîtriser un outil pour pouvoir faire ce que je veux ! 35 heures pour réaliser un vitrail de 40 cm x 40 cm c’est passionnant, mais c’est fastidieux !
Je n’ai pas assez de temps et trop de choses à faire.
Tu es aussi chanteur et rappeur au sein de plusieurs groupes comme les troiziks et Grimesin. Écrire tes textes et les interpréter, c’est aussi un truc qui te suis depuis petit comme le dessin ou c’est plus récent ?
« Pour moi il n’y a pas de frontière entre la peinture et la musique ! Chaque note est une couleur que l’on accorde pour créer une harmonie. » Effectivement, je suis chanteur au sein de plusieurs groupes (VMDeluxX, Les Troiziks, Grimesin, LBD)
Ce sont des univers musicaux vraiment différents mais qui m’apportent le même plaisir, et surtout le kiff de bosser avec mes potes sur des projets collectifs. Les Troiziks c’est le côté délire et 2ème degré, Grime Sin et LBD (Le Bon Deal), la face caché, plus Dark, plus sombre…c’est le côté obscur.
J’écris des textes depuis que j’ai 14 ans…
Rap, Grime, Reggae, Slam, Chanson française, ce sont des ambiances musicales qui me transportent selon mes humeurs. Parfois j’ai envie de rapper sur une instru Boomchak à l’ancienne, parfois envie d’envoyer de la performance sur des beat Grimy à 140 BPM, et souvent besoin de rigolade ou d’évacuer mes émotions sur un son de guitare manouche. C’est une façon pour moi d’exprimer ce que je ressens de différentes manière avec des mots et non pas avec des couleurs. La musique pour moi c’est du sentiment !
Je travaille également sur un projet d’Album solo avec des chansons plus personnelles aux ambiances manouches.
Entre la chanson populaire aux accents slaves et tziganes et le Grime (forme de rap hardcore venant d’angleterre), c’est pas trop un grand écart ? ou ce sont 2 pans de la chanson populaire ?
J’ai toujours adoré la gymnastique et les Arts du Cirque, donc le grand écart c’est la base !
L’important est d’être juste dans l’interprétation, on peut jouer avec les mots, mais pas avec les sentiments ! J’exprime les choses que je ressens avec autant de hargne quand je suis à fleur de peau, que quand je suis enjoué, j’y peux rien je suis écorché vif !
Il faut prendre les choses à la légère, convaincre sans se prendre au sérieux, déconner en étant convaincant, mais l’important c’est d’être juste avec soi-même au moment où ça se passe ! Surtout ne pas tricher ! Etre fier de soi dans n’importe quelle circonstance et donner le meilleur de soi-même.
« On a tous une part de mâle en nous, c’est notre côté sombre surtout méfiez vous on est prêts à tout quand on sort l’ombre »
Chanteur, peintre, auteur de livre, verrier, ça fait pas beaucoup de casquettes, tu arrives à de vivre de ses passions ?
Ce sont mes passions qui me tiennent en vie !
Si je peux faire manger mes enfants avec le fruit de mon travail…tant mieux !…en tout cas j’aurai essayé de faire au mieux !
En dehors de mes activités artistiques, je suis animateur, je bosse avec des jeunes, ce qui me permets de pouvoir réaliser des projets en lien avec mes passions et surtout de transmettre mon savoir-faire.
J’ai donc eu dans ce cadre l’opportunité de participer à de nombreux événements artistiques et sociaux culturels (expositions, performances, conférences…) et ainsi de partager mon expérience auprès d’un autre public.
L’improvisation prend une place très importante dans tout ce que je fais !
Tu travailles énormément tes esquisses, tu écris tes textes, est ce qu’il y a une place pour l’improvisation dans ton travail ? Est ce que tu peux arriver devant un mur sans savoir ce que tu vas faire et peindre ? ou arriver en studio sans avoir rien écrit ?
L’improvisation prend une place très importante dans tout ce que je fais !
En vérité je dessine beaucoup, j’écris des textes, mais quand j’arrive devant un mur ou une feuille blanche, je ne sais pas où je vais mais j’y vais. C’est justement le moment que je préfère, où l’on n’a pas le droit à l’erreur, où l’on balance ce qu’on a dans le bide !
Parfois je radote ou je fais la même recette…en ressortant des gimicks que je maîtrise, mais souvent il y a cet instant magique, ce « moment de grâce » où l’on est juste dans l’instru, où l’on est vrai sur le mur quand on joue avec sincérité !
Il m’arrive rarement de me poster devant un mur pour recopier un sketch que j’ai déjà fait ! A part pour une commande spécifique où je dois me plier à un cahier des charges. Généralement, je peins à l’instinct. J’ai tellement de phases dans ma tête que je n’ai pas besoin de maquette pour faire un graff sur mur. Ce qui m’intéresse, c’est la dynamique, l’énergie et le mouvement. Il faut que mes pièces aient du rythme pour que les lettres dansent entre elles !
En studio, quand on travaille sur une chanson, tout se construit au feeling, mais chaque élément est bien réfléchi. Parfois la mélodie découle du texte, et parfois j’écris mes textes sur la mélodie de la guitare, après chaque instrument prend sa place, mais en fin de soirée si tu mets des intrus, je pars en freestyle direct !
Dans la musique, j’accorde beaucoup d’importance aux textes, ce sont les paroles qui m’accrochent en premier lieu. Il suffit de pas grand chose pour créer une belle chanson : une guitare et une voix, une mélodie entraînante, un texte percutant suffisent pour réveiller nos sens ! C’est souvent avec simplicité que l’on crée des monuments !
J’ai eu la chance de découvrir le Slam par hasard en traînant sur Paname. La première fois, je suis entré dans un bar » Chez Abdel « …je commande une bière et j’entends des gens rapper et scander des textes a cappella sur une petite scène…intrigué, j’écoute ce que le mec raconte…et là j’me rends compte qu’il s’agit d’un battle de Slam, où le public est jury et vote à l’audimat !
Je m’inscris en me disant que j’ai ma place et mon rôle à jouer !…j’finis en finale ! Ce soir là, je n’ai pas gagné, mais j’ai compris que les textes avaient une vraie valeur, une véritable importance ! J’ai ressenti une puissance de fou !
Aucune guitare pour m’accompagner aucun violon pour me cacher derrière, juste mon texte, le poids des paroles et la force des mots ! Du coup durant deux années j’ai traîné dans les bars, et à la Fonderie pour participer à des ambiance » Slam & Jam « . C’était un vrai exercice de style où j’ai pu me confronter à d’autres mc en déclamant mes textes ! Que des souvenirs inoubliables, vraiment enrichissants.
Tu as un nouveau projet de livre d’esquisses, tu peux nous en parler ?
J’ai sorti mon Livre » Sketch Addict » V-1 qui regroupe une partie de mon travail durant 4 années, une sélection de 12O sketchs noirs et blancs de 2016 à 2019. L’objectif était de réaliser un projet fidèle à mon black book et ainsi d’immortaliser mes dessins, pour les mettre à l’abri du temps ! Je travaille actuellement sur la réalisation du volume 2. L’idée est de mettre en lumière le « 1er jet », en y présentant uniquement des esquisses au crayon, des croquis, qui symbolisent mon travail de recherches en amont, les premières étapes de création avant l’encrage ou la mise en couleurs.
Y’a quoi dans ta playlist en ce moment ?
En ce moment, quand je travaille dans mon atelier, si je suis dans le blues j’écoute Daniel Castro, Gary BB Coleman « The Sky is Crying »…Dire Strait, Clapton ou Tiken Jah Fakoly, La Fonky Family, La Cliqua, Kery James. Avec mes enfants je revisite mes classics : Boby Lapointe, Dutronc, Trénet, Balavoine, Renaud, Maxime le Forestier, Nino Ferrer, Brel, Gainsbourg, Brassens, Nougaro, Leo Ferre, Tous les mentors de la chanson française qui ont marqué l’histoire et qui m’ont beaucoup influencé ! J’avoue que ça peut paraître une playlist de Nostalgie, mais ça me raccroche à mes racines.
Comment juges tu l’évolution musicale en France ?
Personnellement, je n’ai aucun jugement à faire ! Chacun fait ce qui lui plait…Pour moi la musique c’est un divertissement, il faut savoir évoluer avec son temps. La musique a beaucoup évolué ces dernières années, l’utilisation de nouvelles machines, de nouveaux logiciels et autres effets sonores ont amené une nouvelle dimension musicale qui a élargit une fois de plus le champ des possibles. Il faut de tout pour faire un Monde et il existe tellement de style et de genre musicaux qu’il y en a pour tous les goûts.
Tu te vois où dans 20 ans ?
Dans 20 ans…confiné dans mon atelier avec mes marqueurs et mes bombes. Si je suis encore en vie, surtout pas en EHPAD ! Dans 20 ans j’aurai plus de 60 piges et j’espère que j’aurais encore la force de tenir un crayon !
Et la musique et le graffiti dans 20 ans ?
Tant que j’aurais des bras pour peindre et des cordes vocales pour chanter, dans 20 ans, on continuera de faire tourner le monde à l’envers et de réveiller les voisins !
J’espère que je ne serai pas « un vieux con », mais il paraît que c’est dans la tête, alors j’espère que je garderai mon âme d’enfant et mon esprit ouvert, mais ce qui est certain c’est que je continuerai de faire ce que j’aime avec ceux que j’aime !
Et le monde tout court dans 20 ans ?
A la vitesse où vont les choses, et vu comment le Monde évolue, j’espère qu’il tournera dans le bon sens. Vivre en paix j’ai du mal à le croire, mais je trinque à la vie et je lève mon verre à l’espoir !
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